mardi 12 février 2008

Le pouvoir local dans l’Empire Romain : reconnaissance ou déchéance (suite).

Voici le quatrième volet du travail que j’ai rédigé en 1999 pour le cours d’Idées politiques dans le cadre de ma maîtrise en science politique. Il s’agit du premier extrait de la deuxième partie du travail qui traite du statut des villes dans l’Empire Romain. Bonne lecture.


Partie II. De la crise

Parmi les explications qui ont été apportées concernant la crise de l’Empire Romain, R. Rémondon propose celle du "dépérissement des cités”. Rémondon avançait que «Rome avait réagi à la guerre imposée par l’ennemi extérieur par un renforcement ruineux et épuisant de l’autorité étatique”. L’émergence de la cité comme sujet d’étude introduit une nouvelle dimension de l’histoire de l’Empire. Celui-ci n’aurait pas pu tenir longtemps s’il n’avait pas eu l’appui des structures locales. Rappelons que des cités libres et souveraines qui existaient avant l’Empire ont signé des traités avec celui-ci et que, pour certaines, non seulement elles lui ont survécu mais elles existent encore aujourd’hui. Le Roux ne parle pas de permanence pour expliquer la "longévité" de ces cités, mais de leur capacité d’adaptation, de mutation. De cette capacité d’adaptation, certains l’interprètent comme une faiblesse des autorités locales vis-à-vis du pouvoir central, alors que d’autres y voient une forme de liberté qui leur permet d’obtenir des privilèges et de les préserver.

«La crise est analysée comme la conséquence d’invasions qui ont surpris l’Empire déjà épuisé par les exigences d’un pouvoir de plus en plus pesant et bureaucratique». «Soucieux de sa tranquillité et préoccupé par ses armes, l’Empire se comportait de plus en plus avec mépris envers les villes et leur population». Cette attitude contrastait beaucoup avec celle de l’époque d’apogée sous Antonin Le Pieux (138-161), où les élites cultivées des villes italiennes et provinciales étaient protégées. Le pouvoir central, héritier d’Auguste, jugeait qu’il était de son devoir de donner vie aux cités locales qu’il considérait comme indispensables à l’unité et à la conservation de l’Empire romain. Mais la continuité de l’Empire mettait en jeu le pouvoir impérial et les cités qui tenaient à préserver leur autonomie.

Pierre Grimal rapporte que c’est à l’époque de Marc Aurèle que l’on vit apparaître les premiers signes des problèmes économiques qui mèneraient à la déchéance de l’Empire. Il était revenu d’une longue guerre avec les Daces sans rapporter d’or. Il accusait plutôt un déficit. Ce fut, selon Grimal, le début d’une longue crise économique. Cette crise serait le prélude à de profonds changements dans les structures de l’Empire qui était, à cette poque, fortement endetté. La guerre ininterrompue depuis plus de 15 ans avait ruiné l’Empire. Et il fallait en plus voir au maintient de l’ordre et à la sécurité du territoire.

dimanche 10 février 2008

Le pouvoir local dans l’Empire Romain : reconnaissance ou déchéance (suite).

Voici le troisième volet du travail que j’ai rédigé en 1999 pour le cours d’Idées politiques dans le cadre de ma maîtrise en science politique. Il s’agit du deuxième extrait de la première partie du travail qui traite du statut des villes dans l’Empire Romain. Bonne lecture.

Partie I. Du statut des villes (suite)

Pouvoirs et autonomie
Dans son livre traitant de l’autonomie municipale des cités romaines, François Jacques rapporte que la bibliographie fait part de la crise de la vie municipale tout au long de l’Empire comme étant un fait admis et reconnu par tous les experts. Par contre, il note qu’il y a eu très peu d’études consacres à la "décadence" des cités. Pourtant, à chaque fois qu’il est question des cités romaines ou de la vie municipale, l’idée de décadence du système municipal semble s’imposer. François Jacques parle ici d’un jugement de valeur voulant que la ruine des institutions locales serait due à l’évolution de l’Empire et aux progrès de la centralisation. L’analyse des nombreux ouvrages sur l’Empire romain ne parvient pas à vérifier cette théorie de la décadence des cités romaines. Au contraire, note François Jacques, il existe des preuves de leur vitalité matérielle. Ce qui pourrait porter à confusion, c’est l’évolution des municipale tout au long de l’Empire. On note que les droits municipaux ont perdu de leur originalité, que les constitutions locales et les traités ont perdu de leur spécificités. Pourtant, les cités occidentales ont continué de demander à être reconnues par Rome comme municipe.

Pour François Jacques, la cité doit être considérée comme faisant partie intégrante de l’Empire romain. Elle est un élément constitutif de l’ensemble qui reconnaît à la cité une dépendance préexistante. Il faut considérer l’Empire et les cités comme deux réalités interdépendantes et solidaires. Les relations entre l’État et les villes ne devrait pas être vues comme des conflits.

L’autonomie, selon Jacques, n’est pas une réalité en soi, elle est relative. Elle se définit d’abord et avant tout comme la capacité d’autogérer les affaires locales et non pas par rapport au pouvoir central. Elle n’est que la possibilité de gérer les affaires qui peuvent être gérées par la cité elle-même sans le recours du pouvoir central. Elle est donc limitée par la propre capacité des villes et non par la volonté de Rome. Les seules restrictions que peut poser Rome quant à l’autonomie de cités concernent des actions qui pourraient mettre en jeu les intérêts de l’Empire.

L’autonomie des cités romaines se définit donc par leur capacité à s’autogérer. Cette autogestion nécessite une administration locale qui ne relève pas du pouvoir central. Il n’y a pas de forme constitutionnelle précise. Cet état favorise une vie sociale cohérente, avec ses tensions et ses équilibres propres.

Comme nous l’avons mentionné plus haut, les principaux objectifs de l’administration centrale étaient la perception des impôts et le maintient de l’ordre public. S’ajoutait à ceux-ci le recrutement des soldats. Les seules tâches demandées par Rome aux cités étaient de garder des animaux en réserve pour les transports et d’offrir l’hébergement aux fonctionnaires de passage. On demandait aussi de fournir le logis ainsi que du matériel aux soldats. Les autres tâches relevant des administrations locales étaient celles habituellement remplies par une administration publique municipale : entretien des aqueducs, réparation des bâtiments publics, provision de combustible pour les thermes, maintien de l’ordre public (dans les provinces où il n’y avait pas d’armées), organisation des fêtes religieuses et des jeux ainsi que les fournitures aux ambassades et aux représentations légales.

L’institution locale qui permet de remplir ces tâches se nomme la liturgie. C’est un système où les services essentiels sont pris en charge par les membres les plus riches de la communauté. Ceux-ci versent des contributions en numéraire ou en services personnels. Ce sont les riches qui payaient de leur personne pour assurer les magistratures le leur cité. La prise en charge des dépenses publiques par des particuliers avaient des implications économiques, politiques et sociales. Vu la faiblesse des finances de la cités, cette prise en charge était nécessaire. Mais cela faisait l’affaire des donateurs car cette pratique justifiait leur position dominante dans la société et la politique locales.

dimanche 3 février 2008

Le pouvoir local dans l’Empire Romain : reconnaissance ou déchéance (2).

Voici un deuxième volet du travail que j’ai rédigé en 1999 pour le cours d’Idées politiques dans le cadre de ma maîtrise en science politique. Il s’agit d’un extrait de la première partie du travail qui traite du statut des villes dans l’Empire Romain. Bonne lecture.

Partie I. Du statut des villes

Le territoire de l’Empire s’étendait bien au-delà de l’Italie. Les régions en dehors de l’Italie étaient appelées des provinces. Chacune de ces entités était gouvernée par un magistrat romain. La principale caractéristique des provinces était que celles-ci étaient la propriété de Rome. Elles étaient soumises à l’impôt foncier. On retrouvait, à l’intérieur de ces provinces ainsi qu’en Italie, des instances locales : les villes. Le statut et la reconnaissance de celles-ci par Rome étaient importants pour assurer la pérennité de l’Empire.


Reconnaissance
Lors de ses premières conquêtes, au début de l’Empire, Rome procédait à la destruction des villes conquises et au rapatriement de ses habitants et de ses richesses. Ne pouvant appliquer cette méthode aux villes plus éloignées, Rome offrit donc, aux villes environnantes qui avaient été vaincues ou qui étaient fortement intimidées, sont protectorat. Ces villes devaient en échange consentir à des conditions qui pouvaient être désavantageuses pour elles. L’importance des villes fut reconnue par Rome qui, en 493 avant notre ère, modifia ses rapports en traitant avec elles sur un pied d’égalité. Un nouveau système fut insaturé en 338 avant notre ère. Des traités sont alors signés entre Rome et les villes de l’Empire. Les traités sont signés séparément et sont spécifiques à chaque ville. Pour préserver sa souveraineté, Rome pose comme condition que les villes n’ont pas le droit de se fédérer entre elles. Le droit de cité était, pour les villes conquises, une sorte de promotion qui leur permettait de s’auto-administrer. En octroyant ce statut aux villes, Rome leur reconnaissait un certain niveau de civilisation.

Rome était un gouvernement sans bureaucratie. Doté d’une fonction publique quasi inexistante, le gouvernement romain ne se préoccupait que de l’essentiel. Il n’avait que deux objectifs principaux : le maintien de l’ordre public et la perception des impôts. Ces objectifs ne nécessitaient pas le recours au dirigisme, laissant une grande autonomie aux instances locales. La politique fiscale de l’Empire n’était pas très développée. Elle reflétait cependant les fonctions limites du système fiscal. Ce système n’était pas uniformisé, permettant aux autorités locales de négocier avec Rome les procédures qui leur seraient moins contraignantes. Il arrivait mme parfois que Rome décidait de conserver les pratiques de ses prédécesseurs. Le secret de ce gouvernement romain sans bureaucratie était un système de cités qui s’administraient elles-mêmes et pourvoyaient aux besoins de l’Empire.

L’absence de système fiscal uniformisé pour les nombreuses cités que comptait l’Empire reflétait la diversité des instances locales, en particulier les cités romaines. Héritage de la République, ces cités avaient des privilèges et des statuts différents selon leur degré d’autonomie vis-à-vis de Rome. En Occident, on retrouvait en majorité des colonies et des municipes. Les colonies étaient considères comme des extensions de Rome. Communautés de citoyens romains, elles étaient gérées par une constitution calquée sur celle de Rome. Les colonies servaient surtout à l’établissement des soldats démobilisés. Les municipes avaient une plus grande autonomie que les colonies, ayant leurs propres lois et magistrats.

Les "municipes" sont des villes qui ont été annexées par Rome. Elles sont dotées de droit de cité et ont conservé une certaine partie de leur autonomie locale. Leurs institutions sont calquées en majeure partie sur celles de Rome. Par contre, elles sont exemptes de suffrage. Les "municipes" étaient, en majorité, des communes qui fonctionnaient sur le modèle de Rome avec, notamment, leurs propres magistrats et leur conseil municipal. Jusqu’en 91 avant notre ère, les "municipes" sont des communes dépendantes de Rome. Les habitants de ces villes vivent sous le régime du droit romain. Ils ont un statut de citoyens romains mais qui est incomplet. Ils participent aux charges de l’État mais ne sont pas reconnus comme lecteurs et n’ont pas accès aux postes de la magistrature romaine. Les coutumes locales qui sont jugées compatibles avec les principes de la jurisprudence romaine sont conservées. On retrouve un autre type de cité, les préfectures. Ces cités sont soumises à la juridiction d’un "préteur urbain".

Les autres cités des provinces occidentales étaient des communautés autonomes qui vivaient sous leur propre droit. Elles étaient donc étrangères au droit romain. On les nommait cités pérégrines, qui veut dire étranger. Leurs constitutions et leurs statuts étaient aussi diverses que les cités elles-mêmes. Certaines de ces cités avaient un statut privilégié. On retrouvait les cités fédérées qui avaient acquis ce statut par la signature d’un traité qui déterminait de façon précise leurs droits. Celles-ci avaient choisi de se rallier à l’Empire romain, ce qui leur permettait de conserver une plus grande autonomie ainsi qu’une certaine indépendance. On retrouvait aussi les cités libres. Celles-ci jouissaient d’une plus grande indépendance envers Rome car elles échappaient à l’autorité du gouverneur de la province. Certaines cités libres avaient un privilège supplémentaire, celui d’être exemptes d’impôts. Mais elles demeuraient une exception.

Rome avait utilisé ce procédé, la fédération, afin de briser les liens qui rassemblaient les peuples italiotes. Elle modifiait peu à peu le statut de ces instances locales en leur octroyant le droit de cité complet. Suite à ces changements, la signification du statut de "municipes" fut modifie, désignant désormais une commune autonome faisant ainsi de leurs habitants des citoyens romains à part entière.

Une certaine autonomie locale a été accorde à ces cités, dès le début. Par cette reconnaissance, Rome voulait non seulement s’assurer de leur fidélité envers l’Empire, mais aussi libérer celui-ci de tracasseries bureaucratiques locales. En effet, comme il a été mentionné plus haut, les romains n’ont pas montré beaucoup d’intérêts à s’occuper des affaires administratives locales, préférant laisser ces tâches aux autorités locales.

vendredi 1 février 2008

Le pouvoir local dans l’Empire Romain : reconnaissance ou déchéance.

En 1999, pendant mes études à la maîtrise en sciences politiques, j’ai voulu prendre un cours qui n’avait aucun rapport avec mon sujet de recherche (la gouvernance métropolitaine); histoire de décrocher. Le cours que j’ai choisi s’intitulait Idées politiques. Le sujet à l’étude: Marc Aurèle, empereur romain de 161 à 180 de notre ère. Or, pendant son règne, il renforça la centralisation administrative. Centralisation, pouvoir local, décidément, je ne pouvais pas m’éloigner de mon sujet de maîtrise. Et bien soit, mon travail porterait sur le pouvoir local dans l’Empire Romain. C’est donc ce que je vous offre pour les prochains billets: le travail de session pour le cours Idées politiques. Aujourd’hui, l’introduction.

Le pouvoir local dans l’Empire Romain : reconnaissance ou déchéance.

«En 176-177 de notre ère, Marc Aurèle voyait l’avenir de l’Empire comme celui d’un État de droit; d'un État démocratique fondé sur l’égalité des droits. L’avenir ne devait pas lui donner raison. L’administration et un certain centralisme politique allaient, en partie, contribuer au début du déclin de l’Empire Romain.

Plusieurs raisons ont été invoquées pour expliquer le déclin de l’Empire Romain. À la fin du deuxième siècle, l’Empire cesse de s’étendre, les conquêtes sont choses du passé. Il doit donc vivre de ses richesses, qui ne sont pas assez suffisantes pour satisfaire les nombreux besoins de ses nombreux sujets. De nombreuses réorganisations ont été nécessaires pour maintenir le territoire de l’Empire. Des mesures impopulaires ont entraîné, dans certaines régions, une révolte des populations et des élites locales qui lui étaient autrefois très loyales. Ces élites locales, qui jouissaient d’une grande autonomie dans la gestion de leurs affaires, ont vu leurs pouvoirs diminuer au profit d’une centralisation vers Rome.

L’ère des conquêtes est terminée, il faut conserver les territoires acquis, dont les prétendants se font de plus en plus nombreux. Force est de constater qu’il est plus coûteux pour Rome de préserver ses acquis territoriaux que d’en conquérir de nouveaux. Les conquêtes rapportaient leur part de butin qui venait s’ajouter aux richesses de l’Empire.

Comme aujourd’hui, le pouvoir local ne peut être négligé par l’État central. Tout le long de l’Empire Romain, Rome a du composer avec le pouvoir local pour assurer sa pérennité. À l’époque de la République, Rome avait prudemment choisi de ménager les élites locales pour s’assurer l’allégeance des nouvelles provinces et des nouvelles cités conquises. Il les chargeait de pouvoirs modestes, tout en se gardant le droit de les révoquer lorsque celles-ci ne respectaient pas les règles préétablies par Rome. N’étant pas portés par les détails de l’administration locale, les romains en confirent la responsabilité aux autorités locales, ce qui s’apparente aujourd’hui à ce que l’on connaît comme la décentralisation.

L’évolution des institutions municipales dans l’Empire Romain serait liée à celle de l’Empire lui-même. Ce travail vise à examiner les relations qu’entretenait Rome avec ses institutions municipales, plus particulièrement au moment où l’Empire commença à accuser les premiers symptômes d’une crise économique en devenir. La première partie, plus descriptive, permettra de définir les principales instances locales que sont les provinces et les municipalités en portant une attention particulière à l’importance de ces dernières pour l’Empire. La deuxième partie portera sur la crise économique que vécu l’Empire vers la fin du deuxième sicle de notre ère et les changements qu’elle entraîna quant au statut des municipalités et de leurs relations avec Rome.»