mercredi 4 juillet 2007

Régionalisation: déconcentration et/ou décentralisation (2)

Voici la première partie du texte Les voies de la régionalisation: déconcentrer ou décentraliser l’État - Éléments de choix que j’ai rédigé en 1995.

Partie 1
Région, régionalisme et régionalisation
La notion de région est, encore aujourd’hui, particulièrement ambiguë. Sa définition varie selon le domaine où l’on se situe: région-plan, région culturelle, région touristique, région faunique. Son territoire aussi peut varier: par exemple, pour certains, le territoire d’une région équivaut à celui d’une MRC, pour d’autres, il s’apparente à celui d’une région administrative. Le Conseil de l’Europe définit la région comme étant «un territoire de dimension moyenne susceptible d’être déterminé géographiquement et qui est considéré comme étant homogène». Définition “large” qui laisse beaucoup de place à l’interprétation et qui permet d’en fixer les limites selon ses aspirations ou ses intérêts. Par contre, la notion de “territoire homogène” peut permettre plus de précision puisque la limite d’une région peut alors être associée à un élément humain, comme le sentiment d’appartenance, à un élément physique ou à un élément géographique.

Le régionalisme, c’est la prise de conscience, par la population d’une même région, d’intérêts communs, de son caractère homogène et qui sont différents de ceux des autres régions. C’est aussi la volonté de cette même population de prendre en charge la gestion de ses affaires, de ses intérêts, estimant pouvoir le faire mieux que l’État central.

Pour faire face à cette montée du régionalisme, le gouvernement peut reconnaître l’existence de régions et aussi prendre des mesures concrètes pour que ces régions participent à leur propre développement. Il s’agit alors de la régionalisation. Le gouvernement national reconnaît donc aux régions, non seulement des “affaires” propres, mais aussi des compétences particulières; la compétence étant définie comme une «capacité reconnue de telle ou telle manière, et qui donne le droit d’en juger» ou, du point de vue légal, comme l’«aptitude d’une autorité à effectuer certains actes» (Larousse, p. 240).

L’État, par des politiques de développement régional, tente de répondre aux besoins des régions. Mais l’affrontement entre ces deux mouvements, régionalisme et régionalisation, pose parfois quelques problèmes; les demandes des régions au droit à la différence se heurtant à la politique d’unité nationale du gouvernement central. De plus, ce dernier, depuis le début des années 60, est confronté à des impératifs économiques et techniques. En créant les régions administratives en 1966, le gouvernement central se dotait de relais lui permettant de rationaliser ses opérations sur tout le territoire.

Au fil des ans, la montée du régionalisme et les mesures prises par l’État pour accroître l’efficacité de son administration ont conduit à une certaine reconnaissance de la réalité régionale. La présence de conseils régionaux de développement (CRD) et la connaissance qu’ils avaient de leur milieu respectif amena le gouvernement central à les consulter. Ces derniers furent associés à différentes initiatives en matière de développement régional telles que l’opération “schémas régionaux”, la tenue de sommets régionaux et de conférences socio-économiques.

Depuis la fin des années 70, le gouvernement central a fait deux pas majeurs dans la reconnaissance de compétences particulières aux régions. Premièrement, avec la loi créant les MRC, il reconnaissait à ces dernières des compétences exclusives en matière d’aménagement du territoire. Ensuite, au début des années 90, le gouvernement donna au organismes régionaux de concertation et de développement (les CRD) le mandat d’élaborer leur propre plan de développement. Pour concrétiser cette ouverture vers les régions, sa nouvelle politique en matière de développement régional prévoyait la signature d’ententes-cadres de développement avec les régions à partir de priorités et d’orientations issues de leur plan de développement.

Par la régionalisation, le gouvernement central confirme l’existence de régions différentes et leur reconnaît des compétences ainsi que des “affaires” particulières. Par contre, il ne s’agit pas là de décentralisation. Bien que des intervenants extérieurs soient associés à certaines activités, il s’agit d’initiatives du gouvernement central qui en conserve jalousement le contrôle sans délaisser ses pouvoirs. La décentralisation, de même que la déconcentration, sont deux formes que peut prendre la régionalisation. Mais là s’arrête toute comparaison entre ces deux notions. La déconcentration, que nous verrons dans la prochaine partie, est un aménagement à la politique de centralisation. La décentralisation, le sujet de la troisième partie, est une remise en question de cette même politique de centralisation.

Régionalisation: déconcentration et/ou décentralisation (1)

Encore un autre texte que je sors de mes tiroirs. Celui-là date de 1995. À cette époque, je travaillais à l’Association québécoise des organismes de concertation et de développement du Québec (AQORCD), qui fut renommée Association des régions du Québec (ARQ) et exista jusqu’en 2004. Fondée dans les années 1970, cet organisme avait pour mandat de représenter les CRD auprès du gouvernement du Québec. Or, en 1996, devinez de quel sujet on parlait. De décentralisation. Le gouvernement de l’époque venait de publier un livre vert intitulé: Décentralisation: un choix de société (1995). Un petit rappel, le gouvernement péquiste de l’époque ne donna pas suite à cette idée de décentralisation (comme en 1977 en ne rendant pas publique son projet de Livre blanc sur la décentralisation ? - voir mes billets sur le sujet) et accoucha plutôt d’une Politique de soutien au développement local et régional (1997), une approche qualifiée de paternaliste par certains à l’époque.

Bref, j’œuvrais à l’époque à titre d’agent de développement pour l’AQORCD et j’ai fais un petit document sur la régionalisation qui s’intitulait: Les voies de la régionalisation: déconcentrer ou décentraliser l’État - Éléments de choix.

Je vous offre comme lecture ce document de recherche qui, je l’espère, saura vous instruire. La première partie de ce document est, bien entendu, l’introduction. La voici en version intégrale.

Introduction
L’État-providence, qui est un des symboles de la centralisation sur le plan de la fourniture de services, ne fonctionne plus. L’appareil d’État est embourbé, lent et inefficace. Les politiques globales et sectorielles adoptées par les gouvernements sont devenues inadéquates et ne correspondent plus aux réalités des régions et des localités. La politique du “mur à mur”, implantée par le gouvernement à la demande même des régions, ne répond plus à leurs besoins. D’abord réclamée pour ramener un certain équilibre dans la qualité et la quantité des services offerts dans chacune des régions, et ainsi contrer le phénomène de disparité régionale, cette politique est aujourd’hui décriée comme étant un frein à leur développement; les normes et trop nombreux règlements ne pouvant s’appliquer aux particularités de chacune d’elles.

La centralisation telle que nous la connaissons ne répond plus aux exigences de la modernité. Le gouvernement central n’arrive pas à bouger assez vite pour suivre l’évolution de la société qu’il doit gérer parce qu’il n’en a plus les moyens.

De plus en plus, les régions demandent au gouvernement central que leur différence et leur spécificité soient reconnues dans les politiques globales et sectorielles et veulent avoir un mot à dire sur celles-ci. Pour répondre à leurs demandes, l’État doit se mettre à l’ère de la régionalisation. La régionalisation, qui consiste en un transfert de compétence, peut prendre deux formes, soit la déconcentration ou la décentralisation. Bien que ces concepts aient fait l’objet de débats, de recherches et de consultations, ils demeurent encore du domaine de la théorie et le consensus sur une définition unique n’a pas encore été atteint.

Ce travail de recherche vise à réactualiser ces concepts en leur donnant une définition non restrictive qui permettra, peut-être, d’atteindre un certain consensus parmi les différentes idées qui sont véhiculées par les nombreux intéressés. Dans un premier temps, il sera question de régionalisation. Je ferai un bref tour d’horizon sur ce concept et les notions qui lui sont apparentées telle la notion de région et celle de régionalisme. Ensuite, dans un deuxième temps, je définirai brièvement le concept de déconcentration en donnant quelques exemples d’applications que nous avons connus ici au Québec au cours des 30 dernières années. La troisième partie, plus exhaustive, portera sur la décentralisation et les conditions quant à son application. Enfin, il sera question des éléments qui devront être pris en considération afin de choisir la meilleure option, soit les enjeux et les moyens.
(Les voies de la régionalisation: déconcentrer ou décentraliser l’État - Éléments de choix, 1996)