mercredi 25 juillet 2007

Régionalisation: déconcentration et/ou décentralisation (6)

Voici la cinquième partie du texte Les voies de la régionalisation: déconcentrer ou décentraliser l’État - Éléments de choix que j’ai rédigé en 1995. Cette partie présente les conditions pour qu’il y ait décentralisation.

Les conditions de la décentralisation
La décentralisation implique un transfert de pouvoirs et un transfert de pouvoirs implique une décentralisation. C’est là un postulat de base sur lequel il doit y avoir unanimité. Comme nous l’avons vu précédemment, la décentralisation peut prendre plusieurs formes. Par contre, pour qu’il y ait une véritable décentralisation, trois conditions doivent être réunies. Il doit y avoir une reconnaissance d’“affaires locales” de la part du gouvernement central. Ensuite, ces “affaires locales” doivent être prises en charge par des autorités locales indépendantes du pouvoir central et reconnues par celui-ci. Enfin, ces autorités locales doivent être en mesure de gérer leurs affaires propres de façon autonome.

Reconnaissance d’affaires locales
Selon Jacques Baguenard (1980), la reconnaissance d’une catégorie d’affaires locales, distincte des affaires nationales, est la donnée première de toute décentralisation. Par contre, il note que cette notion d’affaires locales est juridiquement imprécise. Selon lui, il serait inutile de reconnaître des affaires locales si elles ne peuvent être protégées des ingérences du pouvoir central. La meilleure protection contre ces ingérences serait une ”constitutionnalisation” des affaires locales, mais cette solution serait jugée trop rigide en ne permettant pas d’adaptation. Selon l’auteur, la solution qui permettrait de palier aux exigences d’efficacité, exigences contradictoires que sont la rigueur et l’adaptabilité, serait une reconnaissance juridique des affaires locales où ces dernières seraient définies de façon claire et précise.

Prise en charge des “affaires locales” par des autorités locales indépendantes du pouvoir central
Cette indépendance des autorités locales doit être reconnue par le gouvernement central. Ces autorités doivent avoir le loisir de conduire leurs affaires sans risquer à tout moment d’être écarté, de façon définitive ou temporaire, de leurs responsabilités par l’autorité centrale.

Cette reconnaissance d’autorités locales indépendantes fait face à deux obstacles majeurs : la réticence du pouvoir central et l’absence de consensus, de la part des différents intervenants, quant à leur nature.

Tout d’abord, le pouvoir central a, comme nous l’a démontré la récente histoire de la décentralisation au Québec, de la difficulté à accepter l’existence de structures qu’il ne peut contrôler, surtout si ces dernières peuvent le contester. L’État central a souvent prôné la décentralisation, mais n’était pas prêt à en accepter les implications. Certaines compétences locales ont été reconnues, mais le pouvoir central s’est toujours laissé la possibilité d’intervenir au nom de l’intérêt général. Bien qu’il ne doive pas se départir de tous ses pouvoirs, l’État central devrait, en reconnaissant l’existence de responsables locaux, leur reconnaître des capacités de gestion. De plus, on reconnaît à ces instances une certaine autonomie mais, en oubliant de leur accorder des moyens financiers et techniques, on les empêche de l’exercer. Cette incohérence entre les discours décentralisateurs de l’État central et ses actions semble résulter d’une ambivalence entre la reconnaissance du droit à la différence et les vertus de l’égalité.

Le deuxième obstacle à la reconnaissance d’autorités locales indépendantes est la nature ou la forme que devrait prendre celles-ci. Certains prétendent que pour qu’il y ait une véritable décentralisation, il faut que les autorités locales soient élues au suffrage universel. Ceci assurerait, selon eux, leur indépendance face au pouvoir central et garantirait à la fois leur imputabilité et leur légitimité. Une telle approche résulte d’une confusion entre des questions qui relèvent de concepts différents et indépendants entre eux.

D’abord, le fait que des organes locaux soient élus ne garantit aucunement leur indépendance face au pouvoir central. Par exemple, le fait qu’un conseil municipal soit élu au suffrage universel ne le met pas à l’abri d’une mise en tutelle. Les organes locaux sont indépendants de l’autorité centrale lorsqu’ils ne sont pas soumis à cette dernière pour la nomination et la révocation de leurs dirigeants. C’est donc le mode de nomination de leurs dirigeants qui garantirait à ces organes leur indépendance. Les notions d’indépendance et de démocratie sont des concepts différents, l’un n’impliquant pas “naturellement” l’autre.

Pour ce qui est de l’imputabilité, certains prétendent que l’élection au suffrage universel des dirigeants d’organes locaux et régionaux est un gage de responsabilisation. Ici aussi on confond deux concepts qui sont indépendants l’un de l’autre. Le dictionnaire Larousse définie la responsabilité comme étant la «capacité de prendre une décision sans en référer préalablement à une autorité supérieur» (p. 842). Pour le mot responsable, deux définitions se rapportent au domaine politique : «qui doit répondre de ses actes» et «personne qui a la charge d’une fonction, qui a un pouvoir de décision». Il existe plusieurs niveaux de responsabilisation. En s’inspirant de la définition qu’apporte le dictionnaire Larousse, on peut avancer que le degré de responsabilisation est proportionnel au niveau d’indépendance, le principe démocratique n’ayant pas d’incidence.

Enfin, pour la question de légitimité, faisons un peu de philosophie politique. La légitimité, c’est la conformité à une certaine règle. Elle se réclame d’une idée morale supérieure au droit établi et qui, parfois, est assimilée à ce même droit. En fait, la légitimité relève de croyances et de mémoires validés ou, en d’autres termes, de symboles (ou de symbolique) qui définissent le champ du politique, ses frontières et ses variations. On a tendance à associer la notion de légitimité à celle d’équité ou de légalité.

L’élection d’un gouvernement au suffrage universel en garantit la légalité car cette pratique répond aux règles que nous nous sommes données. La légitimité vient du respect de ces mêmes règles. Il arrive parfois que cette légitimité soit remise en question lorsque l’appui à un gouvernement, en pourcentage, est faible. Pour un gouvernement central (fédéral ou provincial), le respect des règles démocratiques que nous nous sommes données, c’est-à-dire l’élection au suffrage universel, est essentiel. Par contre, pour une instance décentralisée, le respect de ces règles ne devraient pas être une condition sine qua non. Pour assurer la légitimité et la légalité de ces instances, il suffirait d’établir de nouvelles règles propres à leur réalité et à s’assurer qu’elles sont respectées.


La capacité de gestion autonome
Que des “affaires locales” soient reconnues par le gouvernement central, c’est bien. Que des autorités locales indépendantes du pouvoir central puissent prendre en charge leurs affaires propres, c’est bien. Mais à quoi cela sert-il si ces instances ne peuvent gérer leurs affaires de façon autonome?

Cette capacité de gérer ses affaires de façon autonome permet aux instances d’appliquer leurs propres décisions sans attendre d’avoir une autorisation quelconque du pouvoir central. La capacité de gestion autonome requiert que l’instance décentralisée ait des moyens financiers et techniques adéquats. L’octroi de ces moyens peut faire l’objet d’une entente administrative entre l’instance décentralisée et le gouvernement central qui aura recours à la péréquation.

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